LA SECONDE ERREUR FATALE DU FONDAMENTALISME FINANCIER : CROIRE QUE C’EST L’ÉPARGNE QUI STIMULE L’INVESTISSEMENT.

William Vickrey, Prix Nobel d’Économie en 1996

Octobre 1996

On prétend que recommander vivement et fournir des incitatifs aux individus pour qu’ils épargnent plus stimuleraient l’investissement et la croissance économique. Cette croyance semble dériver de la supposition que la production agrégée est fixe et que ce qui n’est pas utilisé pour la consommation est nécessairement et automatiquement affecté à la formation du capital.

C’est l’inverse qui est en fait vrai. Dans une économie monétaire et pour la plupart des individus la décision d’épargner plus signifie la décision de dépenser moins ; moins de dépense pour un épargnant signifie moins de revenu et moins d’épargne pour les vendeurs et les producteurs et l’épargne globale loin d’augmenter diminue et quand les vendeurs à leur tour réduisent leurs achats, le revenu national se contracte tout comme l’épargne nationale. Un individu donné peut sans doute réussir à augmenter son épargne mais uniquement au prix de la réduction du revenu et de l’épargne des autres et ce dans une proportion plus grande encore.

Quand l’épargne consiste en une réduction de la dépense pour des services non stockables comme par exemple une coupe de cheveux l’effet sur le revenu et l’épargne du vendeur est immédiate et évidente. Quand il s’agit d’un bien stockable on peut assister provisoirement à une augmentation de l’investissement sous forme de stocks, mais cet investissement temporaire disparaîtra très vite quand le vendeur aura réduit ses commandes à ses fournisseurs et aura ramener ses stocks à son niveau normal, provoquant éventuellement une réduction de la production, de l’emploi et du revenu.

L’épargne ne crée pas des « fonds prêtables » d’un coup de baguette magique. Il n’existe aucune présomption voulant que l’augmentation de l’avoir en banque de l’épargnant va augmenter la capacité de sa banque à faire du crédit dans un proportion plus grande que la réduction de la capacité à faire du crédit de la banque du vendeur. Ce qui serait le plus probable, serait de voir le vendeur s’activer sur le marché des capitaux ou encore utiliser le renforcement de son crédit engendré par la hausse de ses ventes, pour investir dans ses affaires et entreprises, plutôt que de voir un éventuel épargnant réagir à des incitatifs comme un IRA (individual retirement account) ou une exemption de taxes ou des taxes différées sur le revenu d’un fonds de pension et d’autre incitatifs du même genre, de telle sorte que l’effet net des incitatifs à épargner serait de réduire le volume des prêts bancaires. Les tentatives d’épargner accompagnées d’une réduction de la dépense n’augmentent pas la volonté des banques et des autres prêteurs à financer adéquatement les projets d’investissement prometteurs. En présence de ressources inemployées, l’épargne n’est ni un pré-requis ni un stimulant mais, la conséquence de la formation du capital, parce que ce sont les revenus engendrés par la formation du capital qui seront la source d’une épargne additionnelle.

Notes du traducteur, André Gouslisty

Dans la connaissance, dans la science, il y a des degrés. A une extrémité il y a le jeune lycéen qui vient de suivre un vague et élémentaire cours d’économie, à l’autre extrémité il y a le Prix Nobel. Entre ces deux extrêmes s’intercalent beaucoup d’économistes qui cherchent honnêtement à comprendre mais aussi d’authentiques charlatans comme certains éditorialistes de journaux, prêts à soutenir n’importe quelle idée pourvu qu’on les paient.

Pendant longtemps on a cru que ce sont les dépôts qui font les prêts, aujourd’hui on croit, parce que cela a été démontré, que ce sont les prêts qui font les dépôts.

Le grand public appuyé par les médias croit que le passif gruge l’actif et que le remboursement de la dette serait l’acte le plus rationnel possible pour un individu, une entreprise ou l’État. La réalité, c’est le passif, une ressource, qui engendre l’actif.

Le grand public appuyé par les médias croit que ce sont les surplus budgétaires qui permettent le remboursement de la dette publique alors qu’en réalité ce sont les achats de titres par la Banque Centrale et les rachats de titres de la dette publique par la Banque Centrale pour le compte du gouvernement qui permettent d’afficher les faux surplus budgétaires du gouvernement libéral Ottawa.

A la Cour Suprême du Canada, on croit ferme comme du roc, que l’on va à la Banque pour acheter un actif comme une maison ou une voiture alors que la science financière enseigne que l’on va à la Banque, toujours pour un seul motif, le même pour tous les emprunteurs, celui de se procurer des liquidités et que les institutions financières sont des fournisseurs de liquidités et rien d’autres. Les juges de la Cour Suprême du Canada ont la plus grande misère à comprendre que l’on va à la Régie des alcools non pas pour se saouler mais pour simplement acheter une bouteille de vin ou de whisky, la soûlerie, éventuelle, après l’achat, étant une toute autre affaire. Les juges de la Cour Suprême du Canada ont de la misère à comprendre que l’on va à la pompe pour remplir le réservoir de sa voiture et non pour nécessairement assister à un mariage, traditionnel ou gai ou encore pour assister à des funérailles.

Le gros public appuyé en cela par les médias croit que l’État doit faire des surplus budgétaires tout comme une entreprise doit faire des bénéfices. William Vickrey démontre que c’est un déficit dont nous avons besoin.

Le gros public appuyé en cela par les médias croit que c’est l’épargne qui fait l’investissement. William Vickrey, Prix Nobel d’Économie, démontre que c’est l’inverse

En démocratie, l’analphabète ou le presque analphabète et le Prix Nobel ont le même poids. D’où l’intérêt pour les partis politiques de contrôler les médias. Au Canada la politique des surplus budgétaires de Paul Martin ou de l’équilibre fiscal de Yves Séguin ont été largement soutenus par les médias en général et par les éditorialistes de la presse écrite en particulier et ce au mépris des analyses économiques des meilleurs économistes qui les mettaient en doute. Mais, que peut-t-on demander aux éditorialistes quand les juges de la Cour Suprême de Canada s’estiment au service du Gouvernement et de sa cupidité et non au service de la Nation et de ses citoyens ? C’est évident un tel pays ne fera pas long feu, d’autant plus, qu’à côté, pas très loin, pas en Angleterre, mais juste à côté, il y a mieux.