LA SEPTIÈME ERREUR FATALE DU FONDAMENTALISME FINANCIER : CROIRE QUE SI LES GOUVERNEMENTS CESSENT DE FOURRER LEUR NEZ DANS TOUT ET ÉQUILIBRENT LEUR BUDGET LA PROSPÉRITÉ VIENDRA AUTOMATIQUEMENT.

William Vickrey, Prix Nobel d’Économie en 1996

5 Octobre 1996

Beaucoup ont foi en l’idée que si les gouvernements cessent de fourrer leurs nez dans tout et s’ils équilibrent leurs budgets, les marchés de capitaux, opérant librement, peuvent, au moment opportun, amener la prospérité, avec l’aide possiblement d’une politique monétaire «judicieuse». On prétend qu’il existe dans le marché, des mécanismes, par le canal desquels les taux d’intérêts s’ajustent rapidement et automatiquement pour égaliser l’épargne planifiée avec l’investissement planifié, de la même façon que le prix, sur le marché des pommes de terre, ajuste et égalise l’offre à la demande. Dans la réalité des choses de tels mécanismes n’existent pas; si l’on veut réaliser un équilibre dans la prospérité cela exige une intervention délibérée de la part des autorités monétaires.

Durant les beaux jours de la Révolution Industrielle, il aurait été probablement possible pour les autorités monétaires de fixer le taux d’intérêt à des niveaux permettant l’égalisation de l’épargne agrégée planifiée avec l’investissement agrégé planifiée pour des PIB croissants, assurant et maintenant le plein emploi. Mais, en général, les autorités monétaires n’ont pas voulu reconnaître la nécessité, d’un tel comportement et à sa place ont poursuivi des objectifs tels que le maintien du Gold Standard, ou le maintien de la valeur de la monnaie nationale par rapport aux monnaies étrangères ou encore le maintien de la valeur des actifs financiers dans les marchées des capitaux. Le résultat fût que les ajustements et les adaptations aux chocs se sont effectués lentement et cruellement via le chômage et le cycle économique.

La réalité courante se présente de la façon suivante. Elles n’existent plus, les opportunités, ou un taux d’intérêt très bas sur le marché des capitaux, peut, stimuler une formation de capital nette, motivée par le profit, pour absorber, recycler et transformer en revenus, pour une période prolongée, l’épargne que les individus souhaitent mettre de côté, à partir d’un revenu personnel disponible de prospérité. Les tendances de la technologie, les nouvelles modalités de la demande, la démographie, ont creusé un écart, entre la valeur des investissements profitables que le secteur privé peut entreprendre dans le but d’accroître les capacités de production et la valeur, qui va en augmentant, des sommes, que les individus tentent d’accumuler pour leur retraite et d’autres fins. L’écart entre ces deux valeurs est devenu beaucoup trop grand pour que le marché monétaire et le marché des capitaux puissent, par leurs ajustements, l’éliminer.

D’un côté, la prédominance des innovations à faible teneur en capital, dont les formes extrêmes se trouvent dans les industries électroniques et de télécommunication, les taux élevées d’obsolescence et de dépréciation qui provoquent une baisse importante de la valeur de l’ancien capital lequel doit être maintenu en bon état à partir des investissements bruts avant qu’on enregistre une augmentation nette de la valeur marchande du capital agrégé, éléments s’ajoutant aux déplacements des industries lourdes vers les industries légères et les services, tout cela, a fortement réduit l’aptitude du secteur privé à trouver des placements profitables pour les capitaux nouveaux. Au cours des 50 dernières années, le rapport, le ratio, Valeur marchande du capital privé / Pib, est resté, aux États-Unis, presque constant, à environ 25 mois de Pib ou 25 Pib mensuels.

D’un autre côté, le désir de détenir des actifs pour financer des retraites plus longues et à des niveaux de vie plus élevés, a augmenté considérablement. Au même moment, la concentration croissante dans la distribution du revenu a augmenté la part de ceux qui ont une forte propension à épargner pour d’autres motifs que la retraite, comme, l’acquisition de jetons pour jouer à des jeux financiers dont les mises sont élevées, l’érection d’empires industriels, l’acquisition d’influences administratives ou politiques, l’établissement de dynasties, la dotation d’institut de philanthropie. Tout cela, a contribué à augmenter la tendance déjà la hausse de la demande des individus pour des actifs par rapport au Pib.

Le résultat a été que, l’écart, le gap, entre l’offre privée et la demande privée pour des actifs, constitue une proportion croissante du Pib. Cet écart a encore augmenté du fait du déficit du compte courant du commerce international, qui représente une diminution du stock des actifs domestiques disponibles pour les investisseurs domestiques. Pour qu’une économie soit en équilibre à un niveau donné du Pib, il faut qu’il y ait un approvisionnement supplémentaire d’actifs soit sous forme d’une dette gouvernementale, soit sous forme d’investissements nets à l’étranger pour remplier l’écart qui va croissant entre l’offre et la demande privée d’actifs. L’écart est estimé, aujourd’hui, et pour les États-Unis à 13 Pib mensuels. Il y a des indications que, pour le futur prévisible, ce ratio aura tendance à augmenter plutôt qu’à diminuer. Il s’ajoute aux droits que la Sécurité sociale et Medicare ont émis pour assurer un niveau minimal de sécurité vieillesse.

En l’absence d’un changement dans le flux des investissements nets à l’étranger, un gouvernement, recyclant des revenus, par le canal de déficits courants à des taux quelque peu supérieurs aux taux de croissance désirés du Pib nominal, est une nécessité, pour maintenir l’économie en équilibre. Réduire les déficits équivaudrait à étouffer la croissance. Un budget équilibré aurait tendance à stopper la croissance du Pib nominal et, en présence d’une inflation, conduirait à une baisse du Pib réel et à une augmentation du chômage.

Dépendamment, en partie, de ce qui pourrait arriver au niveau de l’État et des collectivités locales, les programmes courants pour réduire graduellement le déficit fédéral à zéro, pour les 7 prochaines années, auraient pour effets de mettre un bouchon ou un verrou, sur le total de la dette gouvernementale d’environ 9 trillions de $ ( 1012 ), impliquant que le Pib devrait, en l’absence d’un changement dans les investissements nets à l’étranger, se diriger vers un niveau de 8 à 9 trillions de $, et ce, sans tenir compte des fluctuations cycliques de court terme. Ce dernier Pib devrait être comparé au Pib de plein emploi, après 7 ans, avec une inflation de 3 %, de 13 trillions de $. Le Pib d’un budget équilibré, s’élevant à environ 65 % du Pib de plein emploi de 13 trillions, correspondrait à un niveau de chômage officiel de 15 % et même plus, sans parler du chômage non rapporté. Par la suite, s’il faut adhérer aux structures d’un budget équilibré, le chômage continuera d’augmenter. Mais avant qu’un tel résultat n’arrive, quelques concessions aux réalités, devront probablement être faites, mais pas avant qu’une grande souffrance, non nécessaire, ait été endurée.