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Le bébé, l’eau du bain et la Banque du Canada

par : André Gouslisty

2 juillet 2007

En économie, le produit intérieur brut (Pib) c’est le bébé. L’inflation, c’est l’eau du bain. Et on ne jette pas le bébé avec l’eau du bain, comme le fait, allégrement et stupidement, la Banque du Canada et comme le fait aussi la plupart de ses consoeurs, tout particulièrement, la « Federal Reserve », des États-Unis.

Nous nous proposons, dans le présent article, de démontrer trois choses :

a) que le « prime rate », le taux d’intérêt préférentiel, le taux d’intérêt que les institutions financières appliquent à leurs meilleurs clients, ceux dont le risque est presque nul :
- doit toujours être inférieur de 2% à 3% au taux de croissance du Pib;
- très exceptionnellement
, quand le taux d’inflation est intolérable, égal au taux de croissance du Pib;
- jamais être supérieur au taux de croissance du Pib,
car ce serait suicidaire.

b) que tout comme il existe entre le taux directeur, le taux des fonds très liquides à 1 jour, taux fixé par la Banque Centrale, et le « prime rate », taux fixé par les banques, une différence, en faveur du « prime rate », de 3 % aux États-Unis et une différence, en faveur du « prime rate », de 1,75 % au Canada, il doit, nécessairement, exister entre le taux de croissance du Pib et le taux du « prime rate », une différence semblable, de telle sorte que le taux du « prime rate » soit, normalement, inférieur, au taux de croissance du Pib, de 3 % aux États-Unis et de 1,75 % au Canada.

c) subsidiairement, que la Banque Centrale du Canada a été gérée par des boutiquiers, David Dodge en tête, c’est à dire, ni par d’authentiques théoriciens ni par d’authentiques praticiens.

A la question de savoir qu’est-ce que le Canada, Jean Chrétien, devenu Premier ministre du Canada en 1993 et fin connaisseur de l’âme canadienne, et surtout, fin connaisseur de ses bassesses et de ses chienneries, devait avoir cette très juste, mais, quand même, surprenante réponse: « une association de centres d’achat », c’est à dire, une association de boutiquiers, une association de bouchés, une association de bornés.

Que peut valoir dans un pays de boutiquiers, les ministres de son gouvernement, les membres de son parlement, les sénateurs de son sénat, les juges de sa cour suprême, les fonctionnaires de sa fonction publique (Guité et Cie, Lise Thibault etc. ), les généraux de son armée, les diplômés de ses universités, les prêtres, les évêques, les archevêques et cardinaux de ses églises, les gestionnaires de sa banque centrale ?

Pas grand chose, fort probablement.

Même le « Conference Board », généralement très élogieux à l’égard du Canada, estime, dans son dernier rapport, que le Canada sombre dans la médiocrité. Pour nous, il a toujours été, non pas médiocre, mais nul.

Si nous nous intéressons à la politique monétaire c’est non seulement pour elle-même, mais aussi, parce qu’elle constitue un instrument de prévision à long terme de l’évolution d’un pays vers la médiocrité ou au contraire vers le prestige et l’excellence. C’est la politique monétaire qui nous permettra de prédire si ce sera GM qui sera le premier producteur mondial de voitures ou si au contraire si ce sera TOYOTA. C’est la politique monétaire qui nous permettra de prédire si les Américains sortiront vainqueurs de leur guerre en Irak ou si au contraire ils ne récolteront que défaites et humiliations, car, si l’on ajoute à une politique monétaire suicidaire, des généraux incapables et des stratèges qui ne se sont même pas donnés la peine de lire et de revoir l’histoire du Moyen-Orient depuis la fin de la Première Guerre Mondiale jusqu’à aujourd’hui, il est évident que les États-Unis courent à la débâcle économique et financière. Quant aux petites entités économiques comme le Québec, qui ne contrôlent pas directement la politique monétaire, ce sont d’autres politiques, la fiscale et celle de l’immigration, qui constituent les meilleurs instruments de prévision.

Ceci dit, nous allons montrer que la Banque du Canada, menée par des boutiquiers, a causé et cause toujours, un grand tort à l’économie canadienne et ce, en nous appuyant, non seulement sur les opinions de deux Prix Nobel d’Économie, l’Américain Phelps ( auteur de Golden Rules of Economics Growth ) et le Français Allais, qui suggèrent que le taux d’intérêt doit être égal au taux de croissance du Pib, mais encore et surtout, en nous basant sur quelque chose de plus facile à saisir, en nous basant sur le processus pratique de création du Produit intérieur brut ( Pib ).

Il est de notoriété publique, que les banques canadiennes font des profits mirobolants. En 2006, les 5 banques à charte canadiennes ont fait près de 19 milliards de $ de profits nets. Au cours du seul premier trimestre de 2007, la Banque Royale aurait fait 1,5 milliards de $ de profits nets et l’ensemble des banques à charte près de 5 milliards de $.

Au même moment, General Motors faisait des pertes de 5 milliards de $ et les citoyens canadiens, interrogés, avaient de leur avenir financier les perspectives les plus sombres.

Les dirigeants des banques canadiennes attribuent les monstrueux profits de celles-ci à
l’habilité et à la haute intelligence qui les habitent.

C’est faux, car même si les banques canadiennes étaient dirigées par des ânes, par d’authentiques ânes, elles feraient les mêmes profits, et même, peut-être, des profits supérieurs.

A vrai dire, les profits mirobolants des banques canadiennes sont dus au système organisé par la Banque du Canada en leur faveur.

En effet, lorsque, pour un motif quelconque, la Banque Centrale estime que le taux directeur, c’est à dire le taux d’intérêt des fonds très liquides, des fonds à un jour, doit être à un certain niveau, doit être par exemple de 4,25 %, comme c’est les cas au moment où nous écrivons, les banques commerciales fixent le taux du «prime rate », le taux d’intérêt préférentiel applicable aux meilleurs clients qui ne font courir aucun risque, à 6% soit 1,75 % de plus que le taux directeur. Ainsi les banques canadiennes peuvent avoir autant de fonds qu’elles le veulent à 4,25 % et les re-prêter au minimum et sans risque à 6% et avec un peu de risque jusqu’à 22 %. C’est dans cette combine que réside la cause des profits extrêmes des banques et non dans l’intelligence des banquiers canadiens.

Les autres entreprises commerciales et industrielles ne profitent pas d’un tel système. Quand, par exemple, General Motors veut fabriquer une voiture qui sera attribuée au Produit Intérieur Brut (Pib) d’une certaine période, par exemple au Pib de 2007, elle doit acheter les composantes matérielles de la voiture, à un Pib antérieur, celui de 2006 par exemple, ainsi que la main d’oeuvre nécessaire. Non seulement GM doit acheter les composantes de la voiture à fabriquer, mais encore elle doit le faire en empruntant vu l’énormité de l’achat. Si GM paie pour ses emprunts le « prime rate », par exemple 6%, il faut que la voiture vendue en 2007, le soit, à un prix supérieur au coût (celui de 2006) de ses composantes, de 6% pour couvrir les frais d’intérêt. Mais de cette façon GM ne fait encore aucun profit net. S’il faut assurer à GM le même traitement que celui organisé pour les banques, s’il faut assurer à GM un traitement normal, il faudrait que GM vendent sa voiture, en 2007, à un prix, supérieur au prix d’achat, qui est celui de 2006, de 8 % environ, en dollars courants.

D’une façon générale on peut dire que le Pib d’une année ne peut se fabriquer que si l’on achète ses composantes dans le Pib d’une période antérieure, et vu l’énormité de l’achat, qu’en empruntant. Si le taux d’intérêt applicable à l’emprunt est le « prime rate » et si ce dernier est de 6%, il faut nécessairement que le taux de croissance du Pib soit de 6%, pour couvrir les frais, d’où l’on tire le principe que le« prime rate » doit être, au pire, égal au taux de croissance du Pib. Et si l’on veut assurer aux entreprises commerciales et industrielles non seulement le même traitement que celui organisé pour les banques, mais aussi, une marge bénéficiaire, il faudrait que le Pib augmente au moins de 8%, d’où l’on tire le principe que le « prime rate » doit, normalement, être inférieur au taux de croissance du Pib d’au moins 2 % au Canada et d’au moins 3 % aux États-Unis.

Le tableau suivant montre quels ont été au Canada, le taux directeur, c’est à dire le taux de financement à un jour, le taux préférentiel ou le « prime rate », le taux de croissance du Pib et, enfin, le taux d’inflation au cours des dernières années.

Tableau 1
Canada

Années
Taux directeur
(financement à un jour)
Taux préférentiel
(prime rate)
Taux de croissance
du Pib en $ courants
Inflation
( IPC )
2002
2.45 % + 1.75 =
4.20 % =
4.20 %
3.9 %
2003
2.92 + 1.75 =
4.67 <
5.40
2.0
2004
2.24 + 1.75 =
4.00 <
6.10
1.7
2005
2.59 + 1.75 =
4.34 <
6.20
2.2
2006
3.99 + 1.75 =
5.74 >
5.00
1.6
2007( 9 mai)
4.24 + 1.75 =
5.99 >
?
2.0
(janvier et février)
Source : Statistiques bancaires et financières de la Banque du Canada

La Banque Centrale n’a aucun pouvoir direct sur le taux de croissance du Pib. Par contre, elle peut fixer le taux d’intérêt du financement à 1 jour de telle sorte qu’il engendre, par exemple, un taux de croissance du Pib de 8 % et ce, par le canal du prime rate.

Dans la pire des situations le taux du « prime rate » doit être égal au taux de croissance du Pib ce qui n’est pas du tout le cas actuellement.

Le taux de croissance du Pib canadien a été en 2006 de 5% environ en $ courants. Un tel taux de croissance commande pour 2007, un taux préférentiel qui ne soit pas plus élevé et, si l’on veut traiter le reste de l’économie comme les banques à charte et laisser aux entreprises industrielles et commerciales un bénéfice comme pour les banques à charte, un taux préférentiel de 3% environ et, par conséquent, un taux directeur, un taux des fonds à 1 jour, de 1.25 %.

Ce n’est pas du tout ce que nous avons aujourd’hui puisque le taux préférentiel est de 6 % soit 3% de trop. C’est ce 3% de trop, c’est ce fait, le fait de ne pas fixer le taux du financement à 1 jour à un niveau tel qu’il engendre un taux préférentiel inférieur au taux de croissance appréhendé du Pib qui nous amène à accuser la Banque du Canada de sabotage de l’économie canadienne.

On peut nous objecter le raisonnement suivant : « Admettons que les Canadiens soient des incapables. Les Américains ne le sont pas, du moins à première vue, bien qu’ils soient aussi WASP que les Canadiens et pourtant ils mènent quand même une politique monétaire semblable à celle du Canada »

En effet le tableau suivant montre que souvent, aux États-Unis, le taux du prime rate a été supérieur au taux de croissance du Pib.

Tableau 2
États- Unis

Années
Taux des fed funds
Prime Rate
Taux de croissance
du Pib en $ courants
Inflation (Implicit
price deflator )
1998
5,35 % + 3,00 %
= 8,35 % >
5,33 %
1,05 %
1999
4,97 + 3,00
= 8,00 >
5,95
1,39
2000
6,24 + 3,00
= 9,23 >
5,92
2,13
2001
3,88 + 3,00
= 6,91 >
3,16
2,40
2002
1,67 + 3,00
= 4,67 >
3,36
1,78
2003
1,13 + 3,00
= 4,12 <
4,69
2,00
2004
1,35 + 3,00
= 4,34 <
6,86
3,02
2005
3.22 + 3,00
= 6,19 <
6,34
3,01
2006
4,97 + 3,00
= 7,96 >
6,33
3,03
2007(9mai)
5,25 + 3,00
= 8,25
Source: Department of Commerce, Bureau of Economic Analysis

Le fait que souvent, aux États-Unis, le taux du prime rate ait été supérieur au taux de croissance du Pib s’explique, à son tour, par le fait que les dirigeants de la Réserve Fédérale n’ont jamais été ni d’authentiques théoriciens ni d’authentiques praticiens, comme d’ailleurs c’est le cas au Canada.

Si les dirigeants de la Réserve Fédérale avaient été des théoriciens, ils seraient tombés sur les travaux des deux Prix Nobel, Phelps et Allais, qui estiment que le taux d’intérêt doit être égal au taux de croissance du Pib.

Si les dirigeants de la Réserve Fédérale avaient été des praticiens, d’authentiques praticiens, ils auraient su que, pour survivre, il faut qu’une entreprise fasse des recettes au moins égales aux dépenses ou, mieux, que ses recettes soient plus grandes que ses dépenses, c’est à dire aussi, au niveau macroéconomique, que le taux de croissance du Pib soit plus grand que le taux du prime rate, jamais plus petit.

Georges Bush, le père de l’actuel président des États-Unis Georges W., avait fini par flairer que Greenspan, l’ancien président de la «Federal Reserve» était au mieux un boutiquier en disant de lui: «I appointed him. He disappointed me».

Conclusion

Il y a en science financière un grand principe : « Cash - not profit - is King »

Pourquoi ?

Par ce que c’est avec du cash qu’on paie ses employées, c’est avec du cash que l’on achète ses matières premières, c’est avec du cash qu’on paie ses impôts, c’est avec du cash qu’on paie ses créanciers, bref, c’est avec du cash qu’on reste en opération, avant de faire des profits.

Quand une firme ou une économie a des recettes, en $ courants, inférieures à ses dépenses, elle a de sérieux problèmes de liquidités, et la cessation de paiements et la faillite ne sont pas éloignés.

En médecine, la dose du remède est capitale. Une dose insuffisante n’a aucun effet. Une surdose peut éliminer la maladie en éliminant le malade.

L’inflation est sans aucun doute une maladie qu’il faut soigner. La hausse du taux d’intérêt est un remède. Mais, comme en médecine, il faut éviter la surdose. Or, avec un taux préférentiel, c’est à dire avec un « prime rate » supérieur au taux de croissance du Pib, aux États-Unis comme au Canada, il y a surdose et les autorités monétaires cognent, stupidement, sur les entreprises, les déstabilisent et, à la limite, les détruisent, sans la moindre justification.

Au moment où nous finissons le présent article, les médias annoncent que GM n’est plus le premier producteur de voitures au monde, mais le second, derrière Toyota. Il fallait s’attendre depuis longtemps à un tel résultat, qui résulte, à notre humble avis, des politiques monétaires de la Réserve Fédérale, car chaque fois que le taux du
« prime rate » était supérieur au taux de croissance du Pib, GM encaissait, gratuitement, des coups qui réduisaient ses recettes et la déstabilisaient. C’était aussi le cas des entreprises semblables à GM.

Au moment où nous finissons cet article, les médias nous informent, aussi, que David Dodge, l’actuel gouverneur de la Banque du Canada ne sollicitera pas un autre mandat. C’est là une bonne nouvelle. Un boutiquier en moins aux commandes de l’État. Il ne reste qu’à souhaiter que Bernanké, aux États-Unis, disparaisse aussi du décor, ayant prouvé jusque là qu’il n’est ni un théoricien ni un praticien, au grand dam de l’économie américaine.