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Contre les bûcherons de la fôrest de Gastine

Pierre de Ronsard ( 1524- 1585 )

 

Elégie 

(poème court et mélancolique )

 

Quiconque aura premier la main embesongnée

A te couper, forest, d’une dure congnée,

Qu’il puisse s’enferrer de son propre baston,

Et sente en l’estomac la faim d’Erisichton 1,

Qui coupa de  Cerés 2 le Chesne venerable

Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,

Les bœufs et les moutons de sa mère esgorgea,

Puis pressé de la faim, soy-mesme se mangea :

Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,

Et se devore après par les dents de la guerre.

 

Qu’il puisse pour vanger le sang de nos forests,

Toujours nouveaux emprunts sur nouveaux interest

Devoir à l’usurier,  et qu’en fin il consomme

Tout son bien à payer la principale somme.

 

Que toujours sans repos ne face en son cerveau

Que tramer pour-neant quelque dessein nouveau,

Porté d’impatience et de fureur diverse,

Et de mauvais conseil qui les hommes renverse.

 

Escoute, Bucheron ( arreste un peu le bras )

Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas,

Ne vois-tu pas le sang lequel degoute à force

Des Nymphes 3 qui vivoyent dessous la dure escorce?

Sacrilege meurdrier, si on pend un voleur

Pour piller un butin de bien peu de valeur,

Combien de feux, de fers, de morts, et de detresses

Merites-tu, meschant, pour tuer des Déesses ?

 

Forest, haute maison des oiseaux bocagers,

Plus le Cerf solitaire et les Chevreuls legers

Ne paistront sous ton ombre, et ta verte crinière

Plus le Soleil d’Esté ne rompra la lumière.

Plus l’amoureux Pasteur sur un tronq adossé,

Enflant son Flageolet 4 à quatre trous persé,

Son mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,

Ne dira plus l’ardeur de sa belle Janette :

Tout devienda muet : Echo sera sans voix :

Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois,

Dont l’ombrage incertain lentement se remue,

Tu sentiras le soc, le coutre 5 et la charrue :

Tu perdras ton silence, et haletans d’effroy

Ny  Satyres 6  ny Pans 7 ne viendront plus chez toy.

 

Adieu vielle forest, le jouet de Zephyre 8,

Où premier j’accorday les langues de ma lyre,

Où premier j’entendi les fleches resonner

D’Apollon 8, qui me vint tout le cœur estonner :

Où premier admirant la belle Calliope 10,

Je devin amoureux de sa neuvaine trope 11

Quand sa main sur le front cent roses me jetta,

Et de son propre laict Euterpe 12 m’allaita.

 

Adieu vielle forest, adieu testes sacrées,

De tableaux et de fleurs autrefois honorées,

Maintenant le  desdain des passans alterez,

Qui brulez en Esté des rayons etherez,

Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,

Accusent vos meurtriers, et leur disent injures.

 

Adieu Chesnes, couronne aux vaillans citoyens,

Arbres de Jupiter 13, germes Dodonéens 14,

Qui premiers aux humains donnastes à repaistre,

Peuples vrayment ingrats, qui n’ont sceu recognoitre

Les biens receus de vous , peuples vraiment grossiers,

De massacrer ainsi nos peres nourriciers.

 

Que l’homme est malheureux qui au monde se fie!

Ô Dieux, que véritable est la Philosophie,

Qui dit que toute chose à la fin perira,

Et qu’en changeant de forme  une autre vestira :

De Tempé 15 la vallée un jour sera montagne,

Et la cyme d’Athos 16 une large campagne,

Neptune 17 quelque fois de blé sera couvert.

La matière demeure, et la forme se perd.

 

Notes :

 

1. Erisichton : Fils du roi thessalien Triopas. Il commit un sacrilège en coupant des arbres dans un bois sacré de Démèter. La déesse le condamna aux tourments d’une faim dévorante; il finit par se dévorer lui-même.

 

2. Cérès : Une des grandes divinités de Rome; déesse des moissons, de l’agriculture et de la civilisation; fille de Saturne et de Rhéa, sœur de Jupiter et mère de Proserpine. Cérès était une vielle divinité italique  (radical cer, qu’on retrouve dans le nom du génie Ceras ou Kerus, et dans le mot creare , créer ). Elle a été presque complètement identifiée avec la Démèter grecque. En 496 av. J.- C., lors d’une disette, les livres sibyllins ( recueil d’oracles romains attribués à la sibylle ( devineresse ) de Cumes ) ordonnèrent d’élever un temple à Démèter-Cérès, à Perséphoné ou Kora ( Proserpine ou Libera ) et à Dionysos ( Bacchus ou Liber ). On construisit sur l’Aventin un temple commun aux trois divinités, désormais confondues avec Cérès, Libera et Liber. D’ailleurs ce culte de Cérès resta tout grec à Rome; jusqu’au temps de Cicéron on choisissait les prêtresses parmi les femmes grecques de Naples ou d’Élée. On institua successivement à Rome trois fêtes en l’honneur de Cérès; mais à la campagne subsistait le vieux culte de la Cérès italique.

 

3. Les nymphes, divinités subalternes de la mythologie, qui personnifient

les forces vives de la nature, filles de Zeus suivant Homère, représentent la vie des eaux et de la végétation . Beaucoup de héros avaient pour mère une nymphe. On distinguait les naiades, ou nymphes des sources; les oréales, ou nymphes des montagnes; les dryades, ou nymphes des chênes; les hamadryades, dont le destin était lié à celui d’un chêne. Les nymphes étaient des divinités bienfaisantes, protectrices de la jeunesse, surtout des jeunes filles et des fiancées; déesses de la Santé et de la Divination. Dans toutes les parties de la Grèce, on leur rendait un culte, dans les grottes ou dans de petits temples construits au bord des sources ou de la mer.

 

4. Flageolet : Flûte à bec.

 

5. Coutre : Fer tranchant fixé à l’avant du soc de la charrue pour fendre la terre.

 

6. Les satyres étaient des divinités mythologiques de la terre, êtres à corps humains, à cornes et pieds de chèvre. Pan et les satyres sont souvent représentés jouant de la flûte, poursuivant et ravissant des nymphes.

 

7. Pan : Dieu des Bergers, des Pâturages et des Bois, né en Arcadie, fils d’Hermès ou de Callisto. Il était si laid en naissant avec ses cornes et ses pieds de bouc, que sa mère l’abandonna; Hermès le transporta sur l’Olympe. Il mit en fuite par sa voix redoutable les Titans en guerre contre les Dieux. Génie de la nature sauvage, son culte fut associé à celui de la Grande-Mère; plus tard, Pan entra dans le cortège de Dionysos. Pour les stoiciens et les orphiques ( adhérents aux dogmes, mystères et principes philosophiques attribués à Orphée et en vertu desquelles on devait mener ici-bas une vie ascétique, la vie orphique, pour se préparer aux futures existences ) il devint le dieu de la Vie universelle et le Grand-Tout. Il épouvantait souvent les hommes par ses brusques apparitions, d’où l’expression de terreur panique. Le centre de son culte était en Arcadie où il avait des sanctuaires sur le mont Parthénion, sur le Nomion à Herdea, à Mégalopolis. A Marathon ( nom de la bataille gagnée par les Grecs sur les Perses le 12 Septembre 490 av. J.-C. ) il passait pour avoir déterminé  la déroute des Perses. On lui consacra une grotte dite du Pan, qu’on visite encore au nord de l’Acropole. Sous Tibère ( deuxième empereur romain – 42 av. J.-C./ 37 apr. J.-C. -  le premier empereur étant Auguste ) un pilote raconta, dit Plutarque, qu’il avait entendu retentir dans la nuit ces mots : « Le grand Pan est mort !». Le mot est resté proverbial, pour caractériser la chute de puissantes institutions..

 

8. Zéphyr : Vent doux et agréable, brise légère.

 

9. Apollon est le fruit d’une aventure galante de Zeus et de Lêto (Latone), une de ses nombreuses amantes. Il naît à Delos, où sa mère, poursuivie par la jalousie d’Hera (sœur et épouse de Zeus)  avait trouvé refuge. A Delphes, il tue le serpent Python et souillé par ce meurtre, va se purifier à Tempé, puis revient à Delphes. Sa route deviendra « la Voie Sacrée », où chemineront les processions à la fête du Septerion, instituée en souvenir de son premier exploit et célébrée tous les huit ans. Chaque automne, Apollon se retire chez les Hyperboréens dans l’extrême Nord, et il revient au printemps. D’après d’autres légendes, il tue les cyclopes ( géants qui n’avaient qu’un œil au milieu du front)  et il est condamné pour ce meurtre à servir Admète ( roi des Phères, en Thessalie, l’un des Argonautes ou héros grecs qui s’embarquèrent sur le navire Argo , pour aller conquérir en Colchide la Toison d’or. Ils étaient environ cinquante : Jason, leur chef, Héraklès, Castor et Pollux, Orphée ) . Admète donna l’hospitalité à Apollon banni de l’Olympe, et il obtint pour lui des Parques ( déesses infernales, au nombre de trois, Clotho, qui filait les jours et les événements de la vie, Lachésis, qui tirait les sorts, et Atropos, qui tranchait avec ses fatals ciseaux le fil de l’existence ) la faveur d’être exempt de la mort si l’un des siens se dévouait à sa place : sa femme Alceste se sacrifia . Apollon a des aventures galantes, poursuit la nymphe Daphné, qui est changée en laurier. Il lutte contre Tityos ( géant dont le corps recouvrait neuf arpent et qui avait fait violence à la mère d’Apollon Lêto ou Latone ), contre Eurytos ( Roi d’OEchalie et très adroit dans le tir à l’arc ) . Il frappe de ses flèches les Niobides ( enfants de Niobé, reine de Phrygie et femme d’Amphion dont elle eut quatorze enfants : sept fils et sept filles. Fière de sa fécondité, elle eut l’insolence de se comparer à la déesse Latone  et de se vanter de lui être supérieure parce que celle-ci n’avait eu que deux enfants : Apollon et Artémis. La déesse irritée chargea de sa vengeance ses enfants eux-mêmes. Apollon et Artémis tuèrent à coup de flèches tous les enfants de Niobé, sur le mont Sipyle, en Phrygie. La douleur de Niobé fut si grande que Zeus, exauçant ses vœux, la changea en rocher sur le mont Sipyle ). Apollon fait écorcher Marsyas ( musicien légendaire, dont on faisait un fils d’Olympos, un satyre ou un silène (génie des sources et des fleuves ). Ayant ramassé la flûte jetée par Athéna il défia à un concours musical Apollon et sa lyre sur le mont Tmolos en Lydie. Apollon l’emporta, attacha Marsyas à un pin, et l’écorcha vif. Cette légende symbolise la rivalité entre la musique grecque ( lyre  ) et la musique asiatique ( flûte ) ). Les fonctions d’Apollon sont très variées. Il est le dieu de la lumière et conduit la char du soleil. C’est aussi un dieu agricole : à Amyclée (Apollon Carneios), en Arcadie ( Apollon Nomios ). C’est le dieu des purifications, le dieu vengeur qui déchaîne les épidémies, le dieu protecteur, le dieu médecin avant son fils Asclepios, le dieu des arts, surtout de la poésie et de la musique, le dieu de la divination. Nombreux sont ses surnoms ou ses épithètes : Phoibos ( le brillant ), Phytios ou Pythoktonos ( le vainqueur du dragon ), Hékatébolos ( qui frappe de loin ), Argurotoxos ( à l’arc d’argent ), Sôter ( le sauveur ), Alexicacos ( le secourable ), Iatromantis ( le medecin devin ), Musagète ( le chef des muses ), Sauroctone ( le tueur de lézards ), Citharède ( tenant une cithare ) et pour rappeler ses lieux de culte : Clarios, Lykios, Ismenios, Amyclœos, Delios etc… ( il aurait des fidèles dans toute la Grèce). Beaucoup de ses temples renfermaient des oracles  célèbres c'est-à-dire des prophéties ambigues annonçant des événements publics ou particuliers ( Delphes, Abae, Anaephia,Thèbes, les Branchides à Milet, Claros ). Depuis le VIe siècle, sous l’influence de Delphes, Apollon était le type idéal de l’Hellène. A l’époque hellénistique, il fut supplanté par les divinités mystiques de l’Orient et on le confondait de plus en plus avec Hélios. Mais auparavant, il tint une place prépondérante dans le calendrier religieux : le premier et le septième jour de chaque mois lui étaient consacrés, et l’on célébrait en son honneur une foule de fêtes. Ce culte fut importé à Rome sous les Tarquins ( Rois de Rome de 656 à 494 av. J.-C.) avec les livres sibyllins ( recueils d’oracles ); un temple fut bâti vers 432 av. notre ère, pendant une épidémie. Les jeux apollinaires furent célébrés depuis 212. Auguste  (  63 av. J.-C. -  14 apr. J.-C., premier empereur romain, connu d’abord sous le nom d’Octave  et petit neveu de Jules César ) avait une vénération particulière pour Apollon, qui n’en resta pas moins pour les Romains un dieu étranger.

 

10. Calliope est une des neufs Muses et la plus éminente. Elle présidait à la       

poésie épique, quelquefois à l’éloquence. Divers mythes faisaient d’elle la mère d’Orphée, de Linos, des héros ou dieux chanteurs.

 

11.Trope, du grec tropos, « tour, manière »

 

12. Euterpe : muse de la musique. Elle personnifiait l’art primitif de la Thrace; plus tard, le jeu de la flûte.

 

13. Jupiter est la principale divinité des Romains, souverain du ciel et du monde, fils de Saturne et de Rhéa. Primitivement, il personnifiait d’une manière abstraite, chez tous les peuples italiques, la lumière, les phénomènes célestes, l’agriculture. De bonne heure on l’identifia avec le Zeus grec dont il prit la généalogie et les aventures. Une foule de surnoms désignèrent, à Rome, Jupiter, considéré sous divers aspects ou comme bienfaiteur  de la cité. Il y posséda un grand nombre de temples, dont le plus célèbre est celui du Capitole où il était adoré conjointement avec Minerve ( déesse de la sagesse ) et Junon ( déesse de la lumière et du mariage, identifiée à l’Héra des grecs), ce qu’on appelle la triade capitoline. Au culte de Jupiter présidait le flamen dialis ( les Romains donnaient aux prêtres en charge du culte d’un dieu le nom de flamines  ou souffleurs sur le feu sacré) et l’on célébrait de nombreuses fêtes en son honneur. Les plus importantes étaient celles de Jupiter Optimus Maximus, occasion de jeux solennels : les ludi magni, ludi romani, ludi capitolini, et plus tard sous Domitien ( empereur romain, 56 – 96 apr. J.-C., fils de Vespasien et frère de Titus, il fut le dernier des douze Césars dont Suétone a écrit l’histoire. Bien qu’intriguant et débauché, il était énergique et ami des lettres ), l’agôn capitolinus. Des sacrifices étaient offerts au grand dieu du Capitole par les consuls entrant en charge, par les triomphateurs et les empereurs nouvellement proclamés, à certains anniversaires et dans toutes les circonstances sollennelles.

 

14. Dodonéens : habitants de Dodone, ville d’Épire où Zeus avait un temple et était adoré.

 

15. Tempé :Vallée inférieur du Penée ( fleuve du Péloponèse , tributaire de la mer Ionienne ) renommée pour son aspect riant et par extension , vallée délicieuse.

 

16. Athos : montagne grecque de la péninsule des Balkans, au S.-S.-E. de Salonique. Altitude de 1935 mètres. Il y a là un cap difficile à doubler; aussi Xerxès ( roi achéminide de Perse de 485 à 465 av.J.-C. qui entreprit une grande expédition contre la Grèce, pour la revanche de Marathon et qui fut arrêté quelque temps aux Thermopyles par Léonidas ) fit-il séparer le Mont Athos  de la terre ferme par un canal dont on a reconnu la trace. Dinocrate  ( architecte macédonien de grande  renommée vers 300 av. J.-C. Il fut chargé de reconstruire le temple de Diane à Ephèse et présida à la construction d’Alexandrie . Il mourut vers 278 ) voulut plus tard y sculpter une figure gigantesque d’Alexandre. A l’époque byzantine des monastères donnèrent asile à des gens en disgrâce. Ils furent occupés à plusieurs reprises par les Turcs, qui en déchirèrent les manuscrits, dégradèrent les marbres et les fresques des églises.

 

17. Neptune : dieu de la mer chez le Romains. Connu chez les Grecs sous le nom de Poseidon il fut identifié à Rome, avec Neptune. Il eut pour épouse Salacia ( du latin sal, sel )