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DÉSÉQUILIBRE FISCAL OU DÉSÉQUILIBRE MENTAL

André Gouslisty,
Professeur de Sciences Économiques.

15 janvier 2005

Si, la médaille de l’avarice va au gouvernement libéral du Québec, pour le don minable de 100 000 $ aux victimes du tsunami du 26 décembre 2004, si, aussi, la médaille de l’extorsion de fonds va à Revenu Québec, fraudeur fiscal en chef de la nation québécoise, deux médailles, celle de la stupidité fiscale et celle de la stupidité financière, vont certainement à M. Yves Séguin, ministre des finances du Gouvernement Charest et ce pour les motifs suivants.

1. M. Séguin, seul ou avec d’autres, a forgé un nouveau terme, celui de « déséquilibre fiscal », dont il a fait son gagne pain et le gagne pain du gouvernement Charest, qui semble trouver insuffisantes les extorsions de fonds de Revenu Québec. Or ce terme est plus qu’ambigu, il est carrément incompréhensible. Lorsqu’on utilise le terme « déséquilibre budgétaire » on imagine facilement une situation ou les rentrées de fonds diffèrent des sorties. Quand on utilise le terme « déséquilibre de la balance commerciale» on imagine une situation ou les exportations ne balancent pas avec les importations.
Quand, en désignant quelqu’un on dit de lui que c’est un « déséquilibré », on imagine une personne qui n’a pas son équilibre mental, on imagine un fou. Mais quand on parle de
« déséquilibre fiscal » on ne comprend pas ce que cela veut dire. C’est comme de la peinture symbolique, il faut que le peintre vous explique ce qu’il a voulu représenter.

2. Si le terme « déséquilibre fiscal », signifie pour M. Séguin que le Gouvernement fédéral fait des surplus et que le gouvernement du Québec n’en fait pas, M. Séguin fait montre d’une incompétence inexcusable en finances publiques, par ce que les surplus budgétaires du gouvernement fédéral de Paul Martin, sont de faux surplus budgétaires. Ils sont en effet financés en tout ou en partie par la Banque du Canada, sous forme d’injections, dans le marché monétaire, de liquidités, par le canal d’achats de titres pour son propre compte ou par le canal de rachats de titres de la dette publique pour le compte du gouvernement.

3. Le tableau suivant montre quels ont été les absorptions et les injections de liquidités durant les trois dernières années.

En millions de $
Années
2001
2002
2003
Absorptions de liquidités
Excédents budgétaires du gouvernement fédéral sur la base des comptes nationaux
14.196
8.989
4.670
Total des absorptions
14.196
8.989
4.670
Taux annuel moyen du financement à 1 jour
4.11 %
2.45 %
2. 93 %
Total des injections
11.860
5.083
6.315
Injections de liquidités
Achats de titres par la Banque du Canada pour son compte
5.611
1.951
843
Rachats de titres de la dette publique par la Banque du Canada
6.249
3.132
5.472
Source : Statistiques financières et bancaires de la Banque du Canada

4. Pour comprendre le tableau précédent, il faut savoir que, lorsque le gouvernement fédéral fait des surplus budgétaires, lorsqu’il taxe plus qu’il ne dépense, lorsqu’il prend plus d’argent des citoyens qu’il ne leur en donne, le système bancaire perd de ses réserves en liquidités pour un montant égal au surplus budgétaire et doit les reconstituer en se portant acquéreur, emprunteur, de fonds liquides, sur le marché monétaire.

Il est facile alors de comprendre que, lorsque les banques cherchent à emprunter un montant presque égal à un surplus budgétaire de 14 milliards de $ comme, par exemple, en 2001, il y a de fortes probabilités que le taux d’intérêt hausse. Comme le taux d’intérêt, sur le marché monétaire, et à un moment donné, est toujours celui désiré par la Banque Centrale, celle-ci va intervenir pour empêcher la hausse du taux d’intérêt, en injectant des liquidités par des achats de titres pour son propre compte ou par des rachats de titres de la dette publique pour le compte du gouvernement fédéral.

Si la poche droite du gouvernement fédéral est le budget, et si la poche gauche du gouvernement est la Banque du Canada, et enfin, si la poche de derrière est l’Administration de la dette, on peut dire que les surplus budgétaires de la poche droite ont été réalisés en vidant la poche gauche et la poche de derrière, ce qui ne constitue guère un enrichissement net.

À partir du tableau précédent on comprend trois choses :

a) que le déséquilibre fiscal du ministre québécois des finances M. Yves Séguin, est une stupidité à mettre à son passif personnel et au passif du gouvernement du
Québec ;

b) que la résistance de Paul Martin aux demandes d’argent des Provinces n’est pas,
une feinte, mais simplement l’attitude de quelqu’un qui n’a pas d’argent et qui a
eu tort de clamer qu’il a des surplus pour épater les hommes d’affaires et les
petits opérateurs de Bay Street, se comportant en cela comme les patrons de,
Enron, Worldcom etc. qui trafiquaient les états financiers pour faire sur le papier
les profits qu’ils étaient incapables de faire sur le terrain

c) que le Bloc Québécois, à Ottawa, fait montre d’une méconnaissance et d’une ignorance totale des mécanismes financiers et monétaires qui se mettent en branle lorsqu’un gouvernement cherche à avoir des recettes supérieures à ses dépenses et qu’il ferait mieux, pour ébranler Paul Martin, de lui reprocher d’avoir trompé le monde en faisant de faux surplus budgétaires, que de chercher, avec M. Séguin, de partager un butin qui n’existe pas.

5. Mais il ne faut pas croire que M.Séguin, tout comme d’ailleurs n’importe quel ministre provincial des finances, est sans moyens de pression sur le gouvernement fédéral. Il peut lui rendre la vie difficile en empruntant.

Supposons que M. Séguin emprunte aux Banques islamiques, avec lesquelles il semble avoir d’excellents rapports, 5 milliards de $ USA.

La vente de ces 5 milliards de $ USA sur le marché des changes canadien, à un taux par exemple de 1 $ USA = 1.25 $ CAN, va très probablement perturber le marché des changes, provoquer une hausse de la valeur du dollar canadien et amener la Banque Centrale à intervenir et à acquérir ces dollars, ce qui serait une injection de 6.5 milliards dollars canadiens qui iront grossir les dépôts du gouvernement du Québec auprès de banques.

Les banques canadiennes, suite à l’augmentation des dépôts en $ canadiens du gouvernement du Québec, vont mettre en réserve une partie des 6.5 milliards de $, par exemple 5%, soit 325 millions et prêter le reste soit 6 milliards 175 millions de $.

Il est évident que lorsque les banques veulent prêter ou acheter des titres pour un tel montant d’argent, le taux d’intérêt sur le marché monétaire va tendre à baisser ( la hausse du prix d’une obligation réduisant le rendement), baisse qui va déranger la Banque du Canada et l’amener à intervenir en faisant des absorptions de liquidités, en vendant des titres de son portefeuille ou encore, en vendant des titres du gouvernement fédéral, c’est à dire, en empruntant pour lui. Ainsi, l’emprunt initial de M.Séguin aux Banques islamiques, va se transformer en une augmentation et des emprunts et de la dette du gouvernement fédéral. Pour M. Séguin, que l’argent vienne initialement des Banques islamiques ou qu’il vienne, en fin de compte, du gouvernement fédéral, cela n’a pas d’importance, car comme disait l’empereur romain Vespasien l’argent n’a pas d’odeur, mais, il aura obligé le gouvernement fédéral à cesser de rembourser sa dette et même l’aura obligé à emprunter. Jouer dans la cour du gouvernement fédéral ou, comme aurait reproché le Président Nixon à un Premier ministre du Canada, pisser sur son tapis, c’est là, à notre avis, une performance bien supérieure à celle qui consiste à inventer un concept brumeux et inconsistant : le déséquilibre fiscal.

La politique, c’est l’art de dresser Pierre contre Paul et de soutenir tantôt l’un, tantôt l’autre. Pour le Québec, transiger avec les banques musulmanes pourrait renforcer le lobby des fondamentalistes islamiques au Canada, qui pourrait exiger et même acheter deux sièges à la Cour suprême du Canada puisqu’il y a déjà deux Juifs, et même encore, deux postes de sous-gouverneurs à la Banque Centrale.

6. Mais, pour emprunter 5 milliards de $USA, il faut aussi que M. Séguin abandonne une autre stupidité, celle de l’équilibre budgétaire, qui s’ajoute à la stupidité du déséquilibre fiscal. Il y a hélas deux catégories de fous, ceux, à qui il faut enfiler une camisole de force pour les maÎtriser, et ceux qui enfilent d’eux-mêmes une camisole de force, pour paraître sains d’esprit. Ils n’en sont que plus fous. M. Séguin semble vouloir appartenir, inutilement, à la seconde catégorie de fous.

L’équilibre budgétaire est une camisole de force qu’il n’est pas du tout nécessaire d’enfiler, parce que l’État n’est pas une « business.» Comme le dit si bien William Vickrey, Prix Nobel d’Économie en 1996, le déséquilibre budgétaire n’est pas un péché mais une nécessité. C’est le prix qu’il faut payer pour s’enrichir.

Dans un article de 1996, intitulé « Fifteen Fatal Fallacies of Financial Fundamentalism : A Disquisition on Demand Side Economics » William Vickrey, Prix Nobel d’Économie en 1996, et qui vaut certainement plus que tous les conseillers de M.Séguin, considère que la première de toutes les stupidités est de croire qu’il y a de grandes analogies entre les emprunts des individus et les emprunts de l’État,

« Fallacy 1: Deficits are considered to represent sinful profligate spending at the expense of future generations who will be left with a smaller endowment of invested capital. This fallacy seems to stem from a false analogy to borrowing by individuals.

Current reality is almost the exact opposite. Deficits add to the net disposable income of individuals, to the extent that government disbursements that constitute income to recipients exceed that abstracted from disposable income in taxes, fees and other charges. This added purchasing power, when spent, provides markets for private production, inducing producers to invest in additional plant capacity, which will form part of the real heritage left to the future. This is in addition to whatever public investment takes place in infrastructure, education, research and the like. Larger deficits, sufficient to recycle savings out of a growing gross domestic product (GDP) in excess of what can be recycled by profit-seeking private investment, are not an economic sin but an economic necessity. Deficits in excess of a gap growing as a result of the maximum feasible growth in real output might indeed cause problems, but we are nowhere near that level.

Even the analogy itself is faulty. If General Motors, AT&T, and individual households had been required to balance their budgets in the manner being applied to the Federal government there would be no corporate bonds, no mortgages, no bank loans, and many fewer automobiles, telephones and houses ».

Conclusion
L’ancien Premier ministre du Québec M. Robert Bourassa, fin connaisseur d’hommes, n’avait jugé M.Yves Séguin que juste propre à être ministre du Revenu. M. Jean Charest, l’actuel Premier ministre du Québec, l’a promu, à tort, au rang de ministre des finances, grâce à sa salade de « déséquilibre fiscal. » Il est encore temps pour M. Charest de se débarrasser et de M. Séguin, et du concept de « déséquilibre fiscal » et d’opter, franchement et carrément, pour une politique de déficits budgétaires. Ce faisant, non seulement il se rendra service, vu sa faible popularité, mais il rendra surtout service aux Québécois, en freinant leur appauvrissement et même en les enrichissant, conformément aux enseignements d’un Prix Nobel d’Économie et à la pratique des affaires.

Pour William Vickrey, et il a parfaitement raison, c’est la dépense du consommateur qui incite le producteur à investir et l’investissement crée sa propre épargne et plus encore. Emprunter pour éventuellement baisser les impôts est loin d’être une stupidité, parce que la dépense supplémentaire, engendrée par la baisse des impôts, va stimuler l’investissement et créer sa propre épargne. Le Québec aura sans doute une dette plus grande, mais, en contre partie, des actifs, plus importants, productifs de revenus, permettant le paiement des intérêts, le remboursement du capital et laissant un profit. C’est de cette façon que l’on s’enrichit et non avec la niaiserie de l’équilibre budgétaire de M. Séguin ou celle, plus niaiseuse encore, de surplus budgétaire de Paul Martin. Mais, à vrai dire, ce que nous qualifions de niaiseries, c’est plus que des niaiseries, c’est du sabotage.