LES ERREURS DU FONDAMENTALISME FINANCIER

William Vickrey, Prix Nobel d’économie en 1996

5 Octobre 1996

Considérée comme la base de toute politique gouvernementale, véhiculée largement par les médias, et acceptée largement aussi par le gros public, la sagesse économique conventionnelle, qui prévaut actuellement dans les cercles financiers, est basée, sur une analyse incomplète, sur des hypothèses et non sur des données factuelles et sur de fausses analogies.

Par exemple, on encourage l’épargne mais, sans tenir compte du fait que pour la plupart des gens encourager l’épargne, équivaut à décourager la consommation et à réduire la demande du marché, et sans tenir compte du fait qu’un achat par un consommateur ou un gouvernement est aussi un revenu pour les vendeurs et les fournisseurs, et enfin, sans tenir compte du fait qu’une dette du gouvernement est aussi un actif.

Sont également mensongères et fallacieuses les implications économiques qui découlent de la croyance que ce qui possible et désirable pour un individus l’est aussi pour un groupe d’individus et pour l’économie dans son ensemble.

Souvent l’analyse semble être basée sur l’hypothèse que la production future est entièrement déterminée par des forces économiques inexorables, indépendantes de la politique du gouvernement, de telle sorte que, accorder plus de ressources à certains emplois, réduit inévitablement celles disponibles pour d’autres emplois. Une telle analyse aurait été juste dans une économie opérant au niveau de plein emploi ou si l’on postule que la Réserve fédérale doit toujours poursuivre et réussir une politique de maintien du chômage à un taux qui n’accélère pas l’inflation, à un taux de chômage dit « naturel ». Mais les conditions qui prévalent actuellement n’assurent ni le succès d’une telle politique, ni ne militent en sa désirabilité.

Certaines des erreurs qui résultent de tels modes de pensées sont les suivantes. Prises ensemble, le fait de les accepter, conduisent à des politiques qui au mieux nous maintiennent dans des marasmes économiques avec des taux de chômage globaux de 5 à 6%. De tels taux de chômage globaux sont suffisamment mauvais en termes de production perdue puisqu’ils engendrent des pertes de 10 à 15 % dans la production. Mais comme ces taux de chômage globaux engendrent chez les groupes défavorisés des taux de chômage de 10, 20 ou 40% les pertes sont énormes en termes de pauvreté, de désintégration de la famille, d’absentéisme et d’abandon dans les écoles, d’activités illégitimes, de consommation de drogues et de crimes. Et si les politiques qui découlent de ces modes de pensées doivent se traduire, en plus, par un budget équilibré, nous pourrions sombrer dans une sérieuse dépression.