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LE RÔLE NOCIF ET CONTRE-PRODUCTIF DE LA BANQUE CENTRALE ET DES BANQUES

André Gouslisty
Conseiller en Fiscalité et en Finances Publiques

23 septembre 2001

Selon Robert Solow, économiste américain, Prix Nobel d’économie en 1987, une règle d’or, une « golden rule », pour assurer la croissance économique, exige que le taux d’intérêt réel soit égal au taux de croissance du Produit Intérieur Brut ( PIB ).

Comme on calcule le taux d’intérêt réel, ainsi que le PIB réel, en déduisant de ces variables le taux d’inflation, on peut dire que la règle d’or se présente sous la forme de l’équation suivante : Taux d’intérêt en $ courants = Taux de croissance du PIB en $ courants.

Mais de quel taux d’intérêt s’agit-il exactement ?

A un moment donné, il y a une série de taux d’intérêt, bien qu’il n’existe qu’un seul véritable taux d’intérêt, le taux d’intérêt pur, qui est le taux d’intérêt de court terme et sans risque, représenté par le taux des obligations du gouvernement à 3 mois.

Un autre économiste, lui aussi Prix Nobel, répond à cette question.

Selon Maurice Allais, économiste français, Prix Nobel d’économie en 1988, le taux d’intérêt optimum de long terme doit être égal au taux de croissance du PIB, plus une prime de risque égale à 2 %. On a donc avec Maurice Allais l’équation suivante : Taux d’intérêt optimum de long terme = Taux de croissance du PIB + Prime de risque de 2 %.

A ce compte, le taux d’intérêt optimum de long terme devrait être, sur la base des données disponibles le 23 septembre 2001, pour les États-Unis et le Canada, comme suit :

Etats-Unis Canada
Taux de croissance du PIB
en $ courants (2t2001 )
2,40 % 1,60 %
+ Prime de risque de 2 % 2,00 % 2,00 %
= Taux d’intérêt optimum de long terme 4,40 % 3,60 %

Mais qu’est-ce au juste un taux d’intérêt de long terme ? Est-ce que le taux d’une hypothèque résidentielle, amortissable sur 30 ans, à taux fixe, constitue un taux d’intérêt de long terme ?

La réponse est oui, sauf que le produit n’existe plus, du moins au Canada. Le produit existait il y a 20 ans, mais il n’existe plus aujourd’hui, il n’est plus offert par les banques, le produit étant trop risqué pour elles, malgré son évidente utilité sociale et économique.

Mais, il n’est pas du tout nécessaire de s’appuyer sur l’autorité de Prix Nobel, ni de suivre leurs démonstrations parfois hautement mathématiques, pour se convaincre que le taux d’intérêt, à un moment donné, dans une économie, doit être non seulement égal, mais aussi inférieur au taux de croissance du PIB. Quelques gouttes de bon sens suffisent.

Il existe, en effet, 2 grandes masses économiques.

La masse des Fonds Prêtables qui croît à la cadence minimale du « prime rate » actuellement 6 % aux Etats-Unis et 5,25 % au Canada .

Et une autre masse, la masse des Biens et Services, le PIB, qui croît à une cadence variable de trimestre en trimestre, mais dont le taux le plus représentatif est le taux de croissance du dernier trimestre, publié par les instances en charge des statistiques, actuellement 2,40 % aux Etats-Unis et 1,60 % au Canada .

Un investisseur, en quête d’un investissement, a le choix entre joindre le groupe des Prêteurs de fonds ou joindre le groupe des Producteurs de biens et services. Il joindra l’un ou l’autre groupe en fonction du rendement espéré.

Il saute aux yeux aujourd’hui, qu’il est plus payant de joindre les rangs des prêteurs d’argent que celui des producteurs de biens et services parce que nous avons la situation suivante.

Etats-Unis Canada
PIB en $ courants (2t2001) 2,40 % 1,60 %
Taux des fedfunds ou taux cible 3,00 % 3,50 %
Prime rate 6,00 % 5,25 %

Non seulement il est plus avantageux pour un nouvel investisseur de joindre le groupe des prêteurs d’argent ( en achetant des actions de banques qui se portent fort bien ) mais il est aussi avantageux pour un actuel producteur de biens et services de joindre ce groupe, en fermant des usines et en faisant des mises à pied ou encore en se délestant des actions des entreprises engagées dans la production des biens et services ( à l’exception évidemment de la production des services bancaires ). Le comportement actuel des Bourses est tout ce qu’il y a de plus rationnel et confirme notre analyse. C’est la Banque Centrale qui n’est pas rationnelle.

Si le Gouvernement et la Banque Centrale souhaitent sérieusement que les investisseurs lâchent le groupe des prêteurs d’argent pour joindre le groupe des producteurs de biens et services et mieux encore, s’ils veulent arrêter l’hémorragie des mises à pied, il faut absolument faire en sorte que le « prime rate » soit inférieur au taux de croissance du PIB. Pour cela il faut que la Banque Centrale réduise encore plus le taux des fedfunds aux Etats-Unis et le taux de l’argent à un jour au Canada . Il faut aussi mettre un terme à l’appétit insatiable des banques et autres prêteurs de fonds, en réduisant, éventuellement par voie législative, le différentiel entre le taux des fedfunds ou le taux cible et le « prime rate ». Elles n’en mourront pas.

Première conclusion

L’actuel secrétaire d’État à la Défense des Etats-Unis, M. Donald Rumsfeld n’a pas hésité a déclarer que l’ennemi, le véritable ennemi, n’est pas à l’extérieur mais à l’intérieur, au Pentagone et dans sa bureaucratie.

Il en est de même pour le capitalisme, pour les producteurs de biens et services. L’ennemi n’est pas dans la rue. Il est à l’intérieur d’institutions comme la Banque Centrale et les Banques. La Banque Centrale ignore ou fait mine d’ignorer que le taux d’intérêt pour les producteurs de biens et services ne peut pas être et ne doit pas être supérieur au taux de croissance du PIB. Les Banques, quant à elles, n’arrivent pas, ne peuvent pas se débarrasser de leur mentalité d’usurier, leur tâche originelle.

Seconde conclusion

Les intérêts des prêteurs d’argent sont difficilement compatibles avec les intérêts des producteurs de biens et services. Même en régime capitaliste les intérêts des prêteurs d’argent doivent être subordonnés aux intérêts des producteurs de biens et services. La survie du capitalisme est à ce prix.

On ne peut pas ménager la chèvre et le chou. La chèvre est mangeuse de chou. Le chou ne mange pas de chèvre, à part son crottin qui sert de fumier. A l’état sauvage, la chèvre est un fléau pour la végétation qu’elle détruit sans remède. C’est à la chèvre que sont dues, pour la plus grande part, la dénudation totale et le déboisement de certaines montagnes comme les Alpes et de certaines régions comme la région circaméditerranéenne.

Il en résulte que les agences gouvernementales en charge des statistiques de la Nation, devraient calculer séparément la masse des biens et services produites, au cours d’une période, par les authentiques producteurs de biens et services et la masse des services produite par les prêteurs d’argent.

Il en résulte aussi que sur le marché des associations il n’y a pas de place pour des associations comme le Conseil du Patronat du Québec. Si l’Association des Banquiers Canadiens est légitime parce qu’ elle cherche à défendre et à promouvoir les intérêts des prêteurs d’argent, et si l’Association des Manufacturiers et Exportateurs du Canada est légitime parce qu’elle cherche à défendre et à promouvoir les intérêts des producteurs des biens et services, intérêts différents et en opposition aux intérêts des prêteurs d’argent, on ne voit pas très bien quels intérêts le Conseil du Patronat cherche à promouvoir et à défendre. Être patron c’est être chef. On peut être chef ou patron d’une Église, mais on peut être aussi chef ou patron d’une bande de terroristes. Oussama Ben Laden est lui aussi patron. Être patron et prêteur d’argent c’est une chose. Être patron et producteur de biens et services c’est autre chose. Si, comme nous le prétendons, les intérêts des préteurs d’argent doivent être, même et surtout en régime capitaliste, subordonnés aux intérêts des producteurs de biens et services, on ne voit pas comment cela peut se faire à l’intérieur d’une association comme le Conseil du Patronat du Québec.