LA STUPIDITÉ DES EXCÉDENTS BUDGÉTAIRES CANADIENS

André Gouslisty
Professeur retraité de Sciences Économiques

9 novembre 2003

En septembre 1992, à l’occasion du Traité de Maastricht, les membres de l’Union Européenne concluaient un pacte dit de stabilité financière. En vertu de ce pacte, les membres signataires s’engageaient à respecter les ratios suivants :


- Ratio Dette / Produit intérieur brut ou Pib, égal ou plus petit que 60 % ;
- Ratio Déficit / Pib égal ou plus petit que 3%.

Actuellement , en octobre 2003 , et à la lumière de 10 ans d’expérience, ce pacte de stabilité est qualifié par l’Allemagne et la France, les deux piliers de l’Union Européenne et par certains des Hauts Administrateurs de l’Union de pacte de stupidité. Et pour jouer avec le mot stable il est qualifié de pacte de stupidité stable.

Ce n’est pas par ce qu’en Europe on qualifie, avec raison, de stupides une dette nationale égale ou inférieure à 60 % du Pib et un déficit budgétaire égal ou inférieur à 3% du Pib que nous qualifions, nous aussi, les excédents budgétaires du gouvernement libéral de Jean Chrétien et de Paul Martin de stupides, mais c’est aussi par ce que nous, nous pouvons le prouver.

En effet, chaque fois que le client d’une banque et presque toujours contribuable, dépose un montant dans son compte, la banque met en réserve un certain pourcentage de l’ordre de 5 % et prête ou place le reste contre intérêt. Par exemple si un client dépose 1 000 $, la banque verse dans une réserve 50 $ et prête le reste soit 950 $ contre intérêt.

La réserve a pour but de faire face aux retraits de fonds de la part des déposants. Elle est détenue sous une forme très liquide comme par exemple des billets de banque ou un dépôt à la Banque Centrale.

Quand la banque puise dans ses réserves et qu’elle en perd , elle doit les reconstituer en achetant des fonds liquides sur le marché des fonds à court terme. Par exemple si un déposant retire 1 000 $ , la banque ayant puisé dans ses réserves 1000 $ doit les reconstituer en empruntant des fonds liquides pour un montant égal à 1 000 $ moins 5% soit 950 $. La petite différence vient du fait qu’ayant perdu un dépôt de 1000 $ elle n’a plus à mettre en réserve 5% de ce dépôt.

Lorsque le client d’une banque tire un chèque sur son compte pour payer un autre client, la banque puise sans doute dans ses réserves pour exécuter l’ordre de paiement mais, comme le bénéficiaire du chèque le dépose à son tour dans son compte la banque retrouve les fonds puisés dans sa réserve et n’a pas à les reconstituer en se présentant sur le marché des fonds liquides. Dans ce cas la banque n’a pas perdu de réserves.

Lorsque le client d’une banque puise dans son compte pour rembourser la banque d’un prêt qu’elle lui a accordé dans le passé, la banque comme toujours puise dans ses réserves pour exécuter l’ordre de paiement en sa faveur, mais dans ce cas elle perd des réserves par ce qu’il n’y a pas en contrepartie comme dans l’exemple précédent un dépôt. La contrepartie est une annulation d’une créance de la banque et non de l’argent frais. Il y a donc perte sèche de réserves que la banque doit reconstituer en se présentant sur le marché des fonds liquides comme acheteur, comme demandeur. Cela augmente la demande de fonds liquides toute autres choses restant égales par ailleurs. Il y a ici et dans ce cas une pression à la hausse du taux d’intérêt.

Lorsque le client d’une banque tire sur son compte de chèque un montant pour payer un impôt , la banque comme toujours puise dans ses réserves pour exécuter l’ordre de paiement mais ce paiement n’est pas compensé par un versement de fonds par ce que le gouvernement envoie le chèque du contribuable à la Banque Centrale pour encaissement . Cette dernière débite le compte de la banque chez elle. Dans ce cas il y a perte sèche de réserves pour la banque et l’ensemble du système bancaire. Les banques doivent reconstituer les réserves perdues en se présentant sur le marché des fonds liquides comme demandeurs d’où une pression à la hausse sur le taux d’intérêt.

Lorsque le gouvernement s’engage dans une politique d’excédents budgétaires, lorsque par exemple le ministre des finances annonce comme l’a fait M.Manley dans la semaine du 20 octobre 2003 que pour l’exercice 2002-2003 le gouvernement a réalisé un surplus de 7 milliards de $, cela signifie que le système bancaire a perdu au cours de l’exercice 2002-2003 des réserves pour 7 milliards de $, et qu’il a du les reconstituer presque en totalité en se présentant comme demandeur de fonds liquides sur le marché des fonds au jour le jour. Une telle demande ne passe pas inaperçue et exerce sur le taux d’intérêt une importante pression à la hausse.

Si le taux d’intérêt au moment où se réalisent les surplus budgétaires est le bon taux d’intérêt c'est-à-dire le taux désiré par la Banque Centrale, la pression qu’exerce sur le taux d’intérêt la demande de fonds liquides en provenance du système bancaire oblige la Banque Centrale à intervenir en injectant des fonds liquides par des achats de titres gouvernementaux. Ces achats sont une dépense pour la Banque Centrale mais aussi une dépense pour l’État si l’État, c’est le Gouvernement + la Banque Centrale.

Une autre façon de contrer la pression à la hausse du taux d’intérêt qu’exercent les surplus budgétaires par le canal des réserves du système bancaire c’est d’injecter des liquidités sur le marché en rachetant des titres de la dette publique c'est-à-dire en remboursant avant terme la dette nationale. C’est là une dépense, une dépense de l’État si l’État c’est le Gouvernement + la Banque Centrale + l’Administration de la Dette Publique.

Comme on peut le constater les surplus budgétaires c'est-à-dire l’excédent des recettes sur les dépenses ou encore les profits du gouvernement si le gouvernement du Canada est considéré comme une business ne sont possibles que si la Banque Centrale et l’Administration de la Dette publique s’engagent dans des dépenses.

La grande absurdité de la Comptabilité du gouvernement canadien c’est de considérer comme une dépense le paiement des intérêts de la dette nationale mais non son remboursement.

Est-ce que les statistiques confirment ou infirment nos propos ?

Nos propos sont confirmés si, au cours de l’exercice qui va d’avril 2002 à avril 2003, les titres du gouvernement canadien détenus par la Banque du Canada ont augmenté et si les titres, toujours du gouvernement canadien, détenus par le public ont diminué d’un montant approximativement égal aux 7 milliards de $ de surplus budgétaires.

Entre fin avril 2002 et fin avril 2003 et selon les informations contenues dans les «Statistiques bancaires et financières de la Banque du Canada», numéro d’octobre 2003, page S88, les titres du gouvernement canadien détenus par la Banque du Canada ont augmenté de 1 milliard 393 millions de $.

Entre fin avril 2002 et fin avril 2003 les avoirs du grand public en titres du gouvernement canadien ont diminué de 8 milliards 881 millions de $.

Par conséquent entre avril 2002 et avril 2003 la Banque du Canada, qui administre aussi la Dette Nationale, a injecté des liquidités pour plus de 10 milliards de $ pour contrer les pressions à la hausse du taux d’intérêt en provenance des surplus budgétaires de 7 milliards de $ et en provenance d’autres sources.

Comme on peut le constater on ne fait pas impunément au niveau du gouvernement et de l’État des profits qualifiés de surplus budgétaires.

Le premier effet nocif des surplus est une hausse du taux d’intérêt. Les surplus budgétaires provoquent au niveau du système bancaire une perte de réserves , que celui-ci doit reconstituer en se présentant comme emprunteur sur le marché monétaire pour un montant égal au surplus budgétaire.

Le second effet nocif des surplus budgétaires est qu’il oblige la Banque du Canada à injecter dans le marché monétaire des liquidités égales au surplus budgétaire et ce pour empêcher une hausse du taux d’intérêt. Il s’agit là d’une dépense de l’État non comptabilisée dans le budget étroit du gouvernement. La Banque du Canada n’a jamais informé le public que ce sont ses injections de liquidités et les remboursements de la dette qui font les surplus budgétaires et non les surplus budgétaires qui permettent le remboursement de la dette.

Le troisième effet nocif des surplus budgétaires c’est qu’ils engendrent des dépenses stériles par opposition aux dépenses fertiles. Une dépense fertile est une dépense dont la contre partie est un actif réel et non simplement un actif financier. Le remboursement de la dette, une dépense, annule une créance mais ne crée pas un actif réel seul vraiment utile pour le niveau de vie. Gonfler les actifs financiers de la Banque du Canada a beaucoup moins de valeur que d’augmenter les actifs réels du Canada comme les routes, les ponts, les hôpitaux , les écoles etc.

Le quatrième effet nocif des faux surplus budgétaires du gouvernement fédéral est d’attiser les convoitises des gouvernement provinciaux et de provoquer de leur part des demandes de partages d’un butin qui n’existe pas, demandes enrobées de très hautes considérations qualifiées de déséquilibre fiscal.

Le dernier effet nocif des excédents budgétaires et du désir de réduire la dette nationale c’est de permettre au gouvernement du parti libéral de camoufler son indigence intellectuelle, son manque d’imagination et son manque de dynamisme. Vouloir réduire la dette nationale à 25 % du Pib avec de faux excédents budgétaires comme le désire M.Paul Martin, permet au gouvernement de s’embusquer derrière cet objectif pour ne rien faire. On pourrait s’attendre alors à ce qu’un gouvernement dirigé par Paul Martin remette la gestion de l’État canadien à un fiduciaire comme la Canadian Steamship Line a été remise à un fiduciaire.

Quand donc M.Paul Martin annonce à qui veut l’entendre qu’il mènera une politique d’excédents budgétaires pour rembourser la dette, il fait montre d’une ignorance totale des mécanismes financiers, car ce sont les remboursements de la dette et les injections de liquidités par la Banque du Canada qui financent les surplus budgétaires et les empêchent de provoquer la hausse du taux d’ intérêt et non le contraire comme beaucoup le croient à tort.

Qu’un avocaillon ou un homme d’affaires, devenu ministre des finances, en jouant des coudes, clame, que ce sont les excédents budgétaires qui permettent le remboursement de la dette cela se comprend. Ce qui se comprend beaucoup moins bien, c’est que le Gouverneur de la Banque du Canada laisse s’accréditer dans le public une telle idée alors qu’il sait très bien ou qu’il est censé savoir très bien, que ce sont les achats de titres gouvernementaux par la Banque du Canada et les remboursements de la dette avant terme qui permettent au gouvernement libéral d’étaler des surplus budgétaires. Sans doute le Gouverneur de la Banque du Canada a des devoirs de reconnaissance envers le ministre des finances qui l’a nommé, mais il a aussi des devoirs d’honnêteté envers les Canadiens en leur donnant l’heure juste. Sur ce dernier point on peut dire qu’il a failli a ses devoirs et qu’il a porté atteinte à la crédibilité de la Banque du Canada.

Vouloir ramener, comme le déclare M. Paul Martin, le ratio Dette/ Pib à 25 % alors que dans l’Union Européenne on considère de plus en plus un ratio Dette/ Pib égal ou inférieur à 60% comme une stupidité et vouloir faire des excédents budgétaires, comme le souhaite encore M.Paul Martin, alors que dans l’Union Européenne et à la lumière de 10 ans d’expérience, on considère un ratio Déficit budgétaire/ Pib égal ou inférieur à 3% comme une autre stupidité, c’est pour M.Paul Martin vouloir mener au Canada une politique financière doublement stupide.

Sous les apparences d’une gestion financière rigoureuse et d’une administration extra lucide, qui ont fait couler des larmes de joie à ces communautés d’ignares des affaires et des finances publiques que sont , et la communauté des hommes d’affaires et la communauté des boursicoteurs de Bay Street, les années de gestion libérale à la Paul Martin, de 1993 à 2003 , ont été dix années d’appauvrissement des Canadiens. (Voir notre article « La richesse des Canadiens amputée de 350 G grâce à Paul Martin » paru dans notre site inter net www.gouslistyandre.com). A moins que M. Paul Martin change d’idées et se mette à faire des déficits, ce qui seraient renier ses convictions s’il en a vraiment et son programme électoral, il est fort probable que les prochaines années seront encore des années d’appauvrissement pour les Canadiens advenant son accession à la plus haute magistrature du pays.